Cette fille est une force de la nature. Tout ce qu'elle entreprend, c'est à fond et à l'extrême. Construire à 17 ans une école au Burkina Faso, traverser à pied la Cordillère des Andes, et se lancer dans un projet de mini sans avoir jamais fait de voile. Une hospitalisation difficile et longue fait tomber à l'eau ce dernier projet, mais, à peine sortie et pas encore totalement réparée, elle en fait un autre, et non des moindres: celui de traverser l'Atlantique à bord de Tara Tari, un petit bateau en fibre de jute, construit au Bangladesh.
Partie le 17 novembre de La Ciotat, elle a traversé la Méditerranée en plein hiver, une expérience parfois douloureuse et difficile...
A présent à Gibraltar, elle prend le temps de réparer son bateau, et de se reposer, avant de repartir pour les Canaries...
A présent à Gibraltar, elle prend le temps de réparer son bateau, et de se reposer, avant de repartir pour les Canaries...
Rencontre avec une jeune femme exceptionnelle:
Quand et comment as-tu débuté la voile?
J'ai
découvert la voile à l'âge de 20 ans, en croisière avec des amis, mais
mon truc, c'était la montagne. Depuis que je suis enfant avec mes
parents et mes frères, je passe beaucoup de temps dans les Alpes. Il y a
quelques années, alors que je terminais un long périple montagnard, du
nord au sud de la Cordillère des Andes, je suis arrivée à l'extrême sud
de l'Amérique du Sud. En haut d'une falaise, je suis restée un long
moment à regarder la mer, déchainée. Les couleurs, le caractère si
sauvage de cette immensité bleue... c'était magnifique. Plus sud, c'était l’Antarctique, cela me fascinait, mais pour y aller, il fallait
naviguer. Alors c'est là qu'est née l'envie d'apprendre à naviguer. Je
suis rentrée en France, j'ai travaillé pour mettre des sous de côté et
je me suis lancée en Mini 6.50. C'était en 2009.
Tu as dû être hospitalisée, qu'est-ce qu'il s'est passé?
Peu
de temps après être arrivée en Bretagne pour démarrer mon projet Mini
6.50, j'ai eu un problème à une jambe, il a fallu m'opérer. Et tout
s'est compliqué, 2 ans et demi dans les couloirs d'hôpitaux, des
opérations assez lourdes aux deux jambes. J'ai ensuite été hospitalisée
au centre de rééducation de Kerpape, près de chez moi. Ma santé se
dégradait au fil des semaines, malgré les soins. On a découvert que
j'avais un problème assez sérieux qui touchait mes ligaments et mes
articulations. Un truc rare, de naissance, qui fait mal et qui ne se
soigne pas, mais qui n'est pas vital: mes ligaments sont tellement
souples que mes articulations se déboîtent pour un rien. J'ai passé 7
mois dans un lit jusqu'à l'été dernier, et ne me déplaçait qu'en
fauteuil roulant électrique. Cela a été très dur à vivre, et très
douloureux surtout. Je suis sortie de Kerpape fin juin 2011, sans
marcher vraiment bien et j'ai dû enchaîner ensuite pas mal de consultations
spécialisées, à Lorient, à Rennes et à Paris pour à chaque fois entendre
"la recherche avance, mais il n'y a pas encore de traitements". Il faut
donc apprendre à vivre avec la douleur physique.
Comment s'est fait ta rencontre avec Tara-Tari?
En
décembre 2010, mon chirurgien m'a dit qu'il fallait encore m'opérer et
qu'il y avait urgence. Une opération lourde comme ça compromettait
définitivement mon projet de Mini Transat. C'était pendant le salon
nautique et à ce moment-là, j'écrivais sur l'aventure de Corentin (de
Chatelperron) qui exposait Tara Tari. Alors, quand je suis revenue au
salon, nous avons pas mal parlé. Corentin ne savait pas ce qu'allait
devenir son bateau car il devait repartir au Bangladesh, et moi je ne
pouvais plus faire la Mini Transat, alors j'ai proposé à Corentin de
prendre soin de son bateau, de le remettre en état et pourquoi pas, de
naviguer. On était sur la même longueur d'ondes.
Toute
petite et pendant des années, je racontais souvent à mon réveil, ce
rêve de "partir seule sur une petite barque". Ce qui étonnait ma mère
car je n'avais pas 5 ans et je n'avais jamais été dans un univers marin.
Partir en mer est un rêve qui date donc de la toute petite enfance,
mais les événements de la vie ont décidé du timing. Un projet,
quel qu'il soit, commence par une idée. Cette idée doit faire son
cheminement pour pouvoir se concrétiser. Dans mon lit d'hôpital je me
suis promis de tout faire pour vivre ce rêve. Mon aventure à bord de
Tara Tari a commencé à se concrétiser lors de mon hospitalisation; je me
suis accrochée et cela m'a aidé.
Quel est ton objectif dans cette aventure?
C'est
une question que l'on me pose souvent. Or je ne sais pas s'il y a un
objectif particulier. Mon aventure est un mode de vie. Une vie dans une
extrême simplicité, un peu en marge de tout, mais une vie, à mes yeux,
plus proche de l'essentiel. Corentin avait eu une belle idée et je
trouve important de continuer à faire naviguer ce petit voilier en fibre
de jute, et aussi de continuer dans cet esprit de navigation simple et
épurée. Le jute peut être une vraie solution d'avenir pour le Bangladesh
et Corentin travaille dur pour concrétiser cet espoir. C'est important
que Tara Tari navigue, cela permet de continuer à tester la résistance
de la fibre de jute "sur le terrain".
Et puis voilà, sans trop
de moyens, on peut vivre de belles choses, et c'est important de savoir
que c'est possible. Lors d'une escale, un couple est venu me parler,
intrigué. Le lendemain, l'homme est revenu et m'a dit les larmes aux
yeux que mon aventure le bouleversait, qu'il se rendait compte qu'il
n'avait pas de rêves, pas de passions. Il m'a dit merci, car il
réalisait grâce à mon aventure qu'il pouvait se permettre de rêver. Deux
mois plus tard, il m'a envoyé un mail en m'expliquant qu'avec sa femme
ils s'étaient mis à faire du miel et qu'ils commençaient à se passionner
pour les abeilles. Certains rêves sont accessibles. Je crois que Tara
Tari est porteur d'un message, qu'il dévoile au fil des milles et des
rencontres.
Ce n'est pas la première fois que tu te lances dans un projet "humanitaire"?
Je n'aime pas trop le terme de "projet humanitaire". A mon sens la vie entière devrait être humanitaire.
Quand
j'avais 15 ans, je me suis lancée dans un projet de construction
d'école primaire dans un village de brousse au Burkina-Faso. Deux ans
pour mettre tout cela en place, et à 17 ans, juste après mon bac, je
suis partie là-bas pour commencer la construction. Projet indépendant à
toute structure, rien ne s'est fait dans la facilité. Mais quatre ans
plus tard, malgré les difficultés, les inondations et malgré la guerre
civile en Côte d'Ivoire, l'école a ouvert ses portes. C'est une petite
école qui marche comme sur des roulettes. C'est chouette d'aller au bout
de ce que l'on entreprend et cela fait 15 ans que je vis une profonde
amitié avec ce village.
"cette petite école est l'une des "choses" les plus importantes de
ma vie: elle m'a construit quand je l'ai construit. Tout comme Tara Tari
m'a réparé quand je l'ai réparé. Le partage, c'est ça le "truc"!"
Mon
aventure n'est pas simple, les risques sont nombreux alors j'essaie de
ne pas me stresser avec les timings. J'avance en fonction du vent, de
la mer, et de ce que Tara Tari et moi pouvons faire. Je ne sais pas
combien de temps cela nous prendra, mais je prends le temps de faire les
choses en sécurité. Savoir prendre son temps, c'est important pour que
tout se passe bien.
A ce rythme, ne crains-tu pas de te retrouver aux Antilles à la période des cyclones? Comment comptes-tu organiser la suite de ton voyage?
Non
il n'y a aucun risque de me retrouver aux Antilles avec les cyclones,
car je ne partirai pas traverser l'Atlantique dans une période "à
risques". Là encore, j'attendrai le bon moment pour traverser, aidée par
Bernard, mon routeur Greatcircle, même si cela implique d'attendre
l'hiver prochain. La sécurité est la priorité et de toute façon, je ne
pense pas encore à la traversée, car la route est longue!
Comment s'est passé le début de ton périple? qu'en retiens-tu?
Déjà 5 mois en mer pour sortir de Méditerranée.. tout s'est très bien passé.
Je suis ravie que l'hiver se termine enfin car les nuits sont
terriblement longues, froides et humides. C'était rude, mais maintenant
la chaleur va arriver, surtout que j'arrive dans des latitudes plus
clémentes. Je suis contente car j'ai su prendre les bonnes décisions. On dit que
l'hiver, la mer Méditerranée est dure, je sais désormais que ce n'est
pas une légende. Ce n'est pas simple d'expliquer ce que je retiens du
début de l'aventure, car il y a eu tant de choses.
Des petits problèmes, j'en ai eu tous les jours. il faut savoir bricoler et trouver le truc pour ne pas se retrouver dans une situation compliquée. Le plus gros problème, c'est une entrée d'eau qui m'a pris beaucoup d'énergie car j'avais parfois plus de 300 litres d'eau à écoper en 5h! c'était dur. Et le moteur qui ne marche pas, cela ne m'a pas aidé non plus.
Des petits problèmes, j'en ai eu tous les jours. il faut savoir bricoler et trouver le truc pour ne pas se retrouver dans une situation compliquée. Le plus gros problème, c'est une entrée d'eau qui m'a pris beaucoup d'énergie car j'avais parfois plus de 300 litres d'eau à écoper en 5h! c'était dur. Et le moteur qui ne marche pas, cela ne m'a pas aidé non plus.
A Gibraltar, je répare tout cela.. pour partir dans de bonnes conditions vers les Canaries..
Quand on a un rêve, l'une des plus grandes
difficultés est d'oser larguer les amarres. Mais cela vaut le coup. Je
suis vraiment, vraiment heureuse avec Tara Tari.
La vie sur Tara Tari en quelques mots:
Nourriture:
Sommeil:
Je me nourris beaucoup de fruits secs : amandes, noisettes, figues etc. et de fruits frais que je trouve lors des escales.
Le midi, du thon ou des sardines en conserve, et le soir, des nouilles chinoises: ça a le mérite de ne pas peser lourd.
J'ai
aussi quelques sachets de nourriture lyophilisée, que m'ont offert des
amis marins, comme Cécile Poujol, Rémi Beauvais, Jean Le Cam, Michel
Desjoyeaux.
Mais il a fait tellement froid que le sachet était froid alors que je n'en étais qu'à la moitié. Ce n'était pas agréable.
Pour le plaisir, j'ai quelques tablettes de chocolat.
Je ne bois que de l'eau.
Pour cuisiner, j'ai un petit réchaud camping gaz, une bouilloire et une petite casserole.
Une cuillère, pas de fourchette, deux couteaux et des baguettes.
Sommeil:
Je dors par sieste de 10 minutes, pas plus. Ce serait dangereux,
car il y a beaucoup de bateaux de pêche, de cargos, de fermes piscicoles
et autres bouées. C'est le problème de la navigation côtière.
Mais
j'avoue ne jamais avoir pu dormir beaucoup. Parfois 48h d'affilée sans
dormir, c'est la limite. J'ai eu des hallucinations.
Il faut
essayer de dormir dès que la météo le permet, même si on ne se sent pas
trop fatiguée. Car en cas de tempête, c'est impossible, trop de boulot
sur le pont!
Toilette:
Temps libre:
hum... pas de salle de bain, alors je me débarbouille comme je peux
et quand le temps le permet. J'ai un seau multi-fonction. WC, mais
aussi douche quand cela s'impose. A l'eau de mer.
Le sel me
dérange moins que le froid, mais maintenant que la chaleur va revenir,
c'est top. Il m'arrive de passer 6 jours sans me laver vraiment.. ça
peut paraître dégoûtant vu de la terre, mais bon, je n'ai pas toujours
eu des conditions météo qui me laissaient le loisir de me laver. J'ai
profité de la pluie pour me dessaler et me laver les cheveux. En
arrivant au port, après un peu de repos, la douche est aussi agréable
que nécessaire!
Temps libre:
Je n'ai pas beaucoup de temps libre car il y a toujours quelque
chose à faire à bord! bricolage, point sur la carte, vider l'eau, régler
les voiles, surveiller les bateaux de pêche, les cargos... c'est
non-stop!
Je suis un vrai radar à bord. Les rares moments de
temps libre, je lis un bon livre, je joue de l'harmonica, je fais une
sieste sur le pont... et il m'arrive aussi de ne rien faire! de regarder
la mer, la côte qui défile et de ne penser à rien. je m'évade.
Mes
livres: une dizaine de livres dans ma bibliothèque: des récits de mer
de Bernard Moitessier, Henry de Monfreid ou encore l'expédition du Kon
Tiki etc, mais aussi des livres de récits de montagnes ou de désert,
pour changer d'univers tout en restant dans les grands espaces: Roger
Frison Roche (Premier de cordée, la Grande Crevasse etc), Théodore
Monod, L'Alchimiste et aussi des livres d'Eric Orsenna, et du grand
Antoine de Saint Exupéry. J'ai aussi le livre écrit par Corentin qui
s'appelle "L'aventure de Tara Tari", un de mes favoris ;)
Suivez son aventure sur http://whereistaratari.blogspot.fr
Claire G.
Cette jeune femme est une force de la nature ! Je suis admirative !
RépondreSupprimerImpressionnant. Content d'avoir fait ta connaissance sur l'ile de Lanzarote. Fonces et profites en.
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